Questioning Justice
Questioning Justice
2016/17
Kazakhgate : la loi est morte, vive la loi.
La publication imminente de mon livre ‘La force du juste’ (‘De kracht van rechtvaardigheid’) à Anvers le 30 novembre prochain semble encore une éternité dans l’avalanche des nouvelles révélations dans la presse (Mediapart et Le Soir) et le monde politique (notamment les questions parlementaires du groupe ECOLO).
Depuis des années je tente d’alerter sur les aspects juridiques et politiques inquiétants de ce qui est – enfin – en train de devenir une affaire d’Etat franco-belge si elle ne l’était pas déjà, comme Le Canard Enchaîné et Mediapart l’illustrent depuis longtemps. Vous trouvez sur mon site dans la rubrique ‘Dossiers’ sous ‘Afkoopwet’ une petite vingtaine de mes opinions et interviews à ce sujet depuis mai 2012 (et en particulier mon analyse juridique ‘ratio temporis’ de la transaction Chodiev dans mon interview au Vif/L’Express déjà du 17 10 2014 - voir extrait en bas de page).
Les pages 133 – 157 de mon livre publié par Uitgeverij EPO retracent l’origine de la loi sur les transactions pénales depuis 2009 et se concentrent en détail sur le parcours législatif bizarre des lois du 14 4 2011 et 11 7 2011 dans la ligne du temps avec l’affaire Chodiev pendant les mois de février-juin 2011.
Mon livre étant finalisé le 17 octobre dernier, je tiens, en attendant sa présentation, à formuler quelques remarques – surtout techniques - au sujet des commentaires actuels.
La question parlementaire de Georges Gilkinet au ministre de la justice, le 9 11 2016 (Question 14882 Doc Chambre CRIV 54 COM 529 p. 7-9)
D’abord la question.
Elle doit être nuancée dans son 4ème alinéa en ce sens que l’objectif de la loi (soi disant) ‘réparatrice’ était bien de « réduire la portée du principe de transaction pénale amiable » mais PAS comme il fut « instauré par le projet 52-1208 » car il s’agit alors du projet de la Loi Programme, amendé par le fameux amendement 18 du 2 mars 2011 au sujet de l’ EEAPS (Extension de l’Extinction de l’Action Publique moyennant le Paiement d’une Somme d’argent’).
Pour autant que le législateur ait voulu « réduire » la portée de l’ « EAPS élargie », il s’agissait de réduire la portée de la loi « réparatrice » du 11 7 2011 et non celle de la loi du 14 4 2011.
Ensuite la réponse du ministre.
Le ministre de la justice Koen Geens mentionne en effet “des directives temporaires” datant de mai 2011 pour ne pas appliquer la nouvelle loi “aussi longtemps que la loi de réparation n’avait pas été publiée au Moniteur Belge” (Question Gilkinet 09 11 2016)
Le ministre voulait certainement plutôt dire “avant l’entrée en vigueur” donc 10 jours après la publication au MB
Dans la liste des Circulaires 2011 du Collège des procureurs-généraux, il n’y a aucune ‘directive’ à ce sujet:
http://www.om-mp.be/omzendbrief/4123048/omzendbrieven_2011.html
La seule “directive” publiée depuis 2011 à ce sujet est celle du 30 05 2012 COL 6/2012 et elle tend à limiter (!) l’application de la loi réparatrice.
Une directive (au fait, une circulaire) du parquet ne peut jamais s’adresser aux juges: cela ne les lie pas, car le parquet fait partie du pouvoir exécutif (!) et (seulement les juges, du pouvoir judiciaire (art 40 Constitution).
Un juge n’a/n'avait a évidemment à connaitre une transaction que quand le parquet la lui soumet, déjà dûment signée.
Le devoir du juge, ‘de lege lata’ (selon une loi déjà jugée anticonstitutionnelle par la Cour Constitutionnelle...).
Dans les termes de l’art. 216 bis du Code d’instruction criminelle (C.i.cr.) §2, al. 10 « le juge compétent constate l’extinction de l’action publique dans le chef de l’auteur ».
Le juge effectue ce constat « sur réquisition du procureur du Roi et après avoir vérifié s’il est satisfait aux conditions d’application formelles du §1er, al. 1er (...) ».
Même si le juge ne peut – de lega lata - que contrôler les aspects formels de la légalité de la transaction (c’était la critique de la Cour Constitutionnelle dans son arrêt du 2 6 2016 sur lequel je reviens), l’aspect des dispositions transitoires rentre évidemment dans ce contrôle : là se situe exactement – selon la loi et donc à minima - le devoir du juge, qu’il s’agisse de la chambre de conseil, de la chambre de mise en accusation, du tribunal correctionnel ou de la cour d’appel.
L’application des règles transitoires sur le point qui nous occupe ne nécessitait nullement une circulaire: c’est l’évidence même qu’un juge ne peut appliquer une loi avant son entrée en vigueur – il ne faut même pas être juriste pour se rendre compte de cette évidence.
La loi « réparatrice » (étiquette que critique à juste titre l’avocat-général à la Cour de Cassation, Damien Vandermeersch dans le Journal des Tibunaux 2011, 671 note 34) dispose elle même de son entrée en vigueur c’est à dire tenant compte de l’art 84 de la loi du 9 8 1980 juncto art. 190 Constitution. A défaut de règle concrète dans la loi du 11 7 2011, on n’a qu’à appliquer cette règle générale; c’est élémentaire. La loi « réparatrice » (horresco referens) est donc entrée en vigueur le 11 8 2011, soit 10 jours après sa publication au Moniteur Belge, le 1 8 2011.
Pourquoi la transaction Chodiev ne pouvait se faire sous le régime de la loi du 14 avril 2011 (entrée en vigueur le 16 05 2011) ?
Le renvoi en correctionnelle du 18 2 2011 visait notamment « des chefs des prévention de faux et usage (de faux) » Ces préventions entrent seulement dans le domaine de la loi ‘réparatrice’ du 11 7 2011.
L’art 196 du code pénal prévoit en effet pour faux en écritures de commerce 5 à 10 ans de prison :
« Seront punies de (réclusion de cinq ans à dix ans) les autres personnes qui auront commis un faux en écritures authentiques et publiques, et toutes personnes qui auront commis un faux en écritures de commerce, de banque ou en écritures privées,
Soit par fausses signatures,
Soit par contrefaçon ou altération d'écritures ou de signatures,
Soit par fabrication de conventions, dispositions, obligations ou décharges ou par leur insertion après coup dans les actes,
Soit par addition ou altération de clauses, de déclarations ou de faits que ces actes avaient pour objet de recevoir ou de constater. »
Art. 197. « Dans tous les cas exprimés dans la présente section, celui qui aura fait usage de l'acte faux ou de la pièce fausse sera puni comme s'il était l'auteur du faux ».
Cependant, la loi du 14 4 2011, votée avec l’amendement 18 ne concernait que les délits pour lesquels seulement une amende serait requise :
Loi 14 04 2011 art. 84
Dans l'article 216bis du Code d'instruction criminelle, modifié en dernier lieu par la loi du 10 avril 2003, les modifications suivantes sont apportées :
1° le paragraphe 1er, alinéa 1er, est remplacé par ce qui suit :
" § 1er. Lorsque le procureur du Roi estime, pour une contravention, un délit ou un crime susceptible de correctionnalisation par application des articles 1er et 2 de la loi du 4 octobre 1867 sur les circonstances atténuantes, ne devoir requérir qu'une amende ou qu'une amende avec confiscation, il peut inviter le suspect à verser une somme d'argent déterminée au Service public fédéral Finances."
Notez entretemps que le fameux amendement 18 reprenait la proposition de Servais Verherstraeten (CD&V) en NON celle de Carina Van Cauter (OpenVLD) qui a pourtant bel et bien reconnu avoir être approché par un membre du cabinet Reynders pour amender la loi programme avec sa – différente - proposition de loi (sa déclaration dans De Standaard du 24 01 2013 ‘Een wet op maat van Patokh Chodiev).
L’amendement 18 date du 2 mars 2011 – « le jour le plus long » dans la commission Finances de la Chambre (p. 142 de mon livre ‘De kracht van rechtvaardigheid’).
Ce n’est cependant que la loi « réparatrice » qui élargissait le champ d’application énormément suite à la demande des prof. Haelterman, Verstraeten et Masset (au Sénat, le 22 3 2011) car sans couvrir l’usage de faux, la loi n’avait aucun sens en ne pouvait pas être appliquée dans des dossiers de ‘faux’.
La loi du 11 07 2011 art. 2 remède à ce «’défaut de fabrication’ monumental de la loi du 14 4 2011 avec ce changement :
Dans l'article 216bis du Code d'instruction criminelle, modifié en dernier lieu par la loi du 14 avril 2011, les modifications suivantes sont apportées :
1° le paragraphe 1er, alinéa 1er, est remplacé par ce qui suit :
" § 1er. Lorsque le procureur du Roi estime que le fait ne paraît pas être de nature à devoir être puni d'un emprisonnement correctionnel principal de plus de deux ans ou d'une peine plus lourde, y compris la confiscation le cas échéant, et qu'il ne comporte pas d'atteinte grave à l'intégrité physique, il peut inviter l'auteur à verser une somme d'argent déterminée au Service public fédéral Finances. ";
2° le paragraphe 2, alinéa 10, est remplacé par ce qui suit :
" Sur réquisition du procureur du Roi et après avoir vérifié s'il est satisfait aux conditions d'application formelles du § 1er, alinéa 1er, si l'auteur a accepté et observé la transaction proposée, et si la victime et l'administration fiscale ou sociale ont été dédommagées conformément au § 4 et au § 6, alinéa 2, le juge compétent constate l'extinction de l'action publique dans le chef de l'auteur. ".
Tout en invoquant des circonstances atténuantes (par l’art 80 du Code Pénal) on peut donc viser des délits jusqu’à 20 ans de réclusion, car tout peut être réduit à moins des 2 ans, visés par la loi réparatrice :
Art 80 C.P stipule en effet:
La réclusion de quinze ans à vingt ans, par la réclusion de dix ans à quinze ans ou de cinq ans à dix ans ou par un emprisonnement d'un an au moins et de quinze ans au plus.
La réclusion de dix ans à quinze ans, par la réclusion de cinq ans à dix ans ou par un emprisonnement de six mois au moins et de dix ans au plus.
La réclusion de cinq ans à dix ans, par un emprisonnement d'un mois au moins et de cinq ans au plus.
Ceci n’était évidemment pas possible avant le 11 08 2011, date d’entrée en vigueur de cette loi ‘réparatrice’
L’élargissement énorme (des délits en principe jusqu’à 20 ans de réclusion !) par la loi réparatrice est exactement la raison pour laquelle cette extension inacceptable de la loi du 14 4 2011 a ensuite été réduite ( !) deux fois :
D’abord par la loi réparatrice elle-même, l’interdisant en cas « d'atteinte grave à l'intégrité physique »
Et ensuite par la liste, jointe à la « directive », du Collège des Procureurs-généraux, le COL 6/2012 du 30 05 2012.
Ce n’est que surtout depuis ce circulaire du 30 5 2012, que les transactions ont vraiment démarrés.
Je ne vois donc pas comment la transaction du 17 6 2011 ait pu être rédigée par le parquet, ni - surtout - être approuvé par quel tribunal ou cour ou chambre de mise en accusation que ce soit, avant le 11 8 2011
La ligne du temps et de l’urgence.
La signature du contrat des hélicos pour le Kazakhstan date du 27 6 2011 selon le communiqué de presse d’Eurocopter.
Ajoutons encore deux éléments purement factuels dans la ligne du temps – sans en tirer aucune conséquence pour le moment - question de respecter la présomption d’innocence pour toute personne mentionnée dans ce dossier.
Premièrement, le bureau de l’avocat général De Wolf (alors chef de la section compétente au PG) semble avoir été cambriolé le week-end du 4-5 juin 2011, donc quelques jours avant la transaction du 17 juin 2011 (vol d’au moins un ordinateur et des documents).
Deuxièmement, le ministre de finances de l’époque, Didier Reynders vous partageait sa joie le 16 10 2010 sur son propre site (lien ici), en annonçant son intronisation dans le cercle français prestigieux des Mousquetaires d’Armagnac. Il y rejoignait comme membre Armand De Decker, et la princesse Léa, veuve d’Alexandre de Belgique, et le ‘capitaine’ de la joyeuse bande, le ‘duc’ Aymeri de Montesquiou, alias – selon Mediapart, « l’Oléoduc ». et ‘Fleuret moucheté’
Pour faire bref, je vous invite à lire les enquêtes de Médiapart (lien ici) sur Aymeri de Monstesquiou, ce curieux duc émissaire de Nicolas Sarkozy, émissaire mis en examen en France dans l’affaire du Kazakhgate pour corruption passive et bande organisée et dont le Conseil Constitutionnel a invalidé l’élection au Sénat le 11 6 2015 avec inéligibilité d’un an à la suite du rejet de ses comptes de campagne.
La loi Chodiev (pour les Flamands ‘Afkoopwet’ - littéralement ‘Loi du rachat’ ) est morte, mais vive cet #Afkoopwet
Premier acte, le 3 février 2016.
A mon grand étonnement je suis le seul ‘spectateur’ dans la belle salle bleue de la Cour Constitutionnelle pour écouter les plaidoiries des courageux avocats gantois Van Cauter et De Meester ( voir blog JustWatch de ce jour) qui remettent à la Cour le fameux rapport ‘secret’ sur la pratique juridique des parquets.
Votre #justicewatcher en avait publié des extraits sur Knack.be le 3 juin 2015.
A la sortie de cette audience, je leur donne mon pronostic : je les félicite déjà.
Deuxième acte, le 2 juin 2016.
Badaboum, voilà l’arrêt 83/2016, que je commentais dans Knack ce jour (lien ici):
« L’article 216bis, § 2, du Code d’instruction criminelle viole les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec le droit à un procès équitable et avec le principe de l’indépendance du juge, consacré par l’article 151 de la Constitution, et par l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, et l’article14, paragraphe1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en ce qu’il habilite le ministère public à mettre fin à l’action publique par la voie d’une transaction pénale, après l’engagement de l’action publique, sans qu’existe un contrôle juridictionnel effectif”.
Troisième acte.
Communication des parquets et bâtonniers que tous les pourparlers et procédures en cours sur les transaction pénales sont gelés en attendant une (nouvelle) loi réparatrice.
J’en avais esquissé les contours élémentaires dans mon opinion sur Knack.be le 7 5 2011 dans le cadre du programme ‘Justice’ pour les élections fédérales de 2014. La 3ème condition fut précisément... « un contrôle jurisdictionnel effectif ». Lors du sondage de mars 2011 de la VRT en fonction de ces élections, 80% des personnes interrogées voulaient que les possibilités de transaction soient réduites pour les fraudeurs.
A Gand, le procès de l’ancien échevin G.S. marchait droit vers une transaction pénale. Cependant, le 2 juin 2016 le tribunal rouvre les débats en posant la question de la légalité de la transaction, suite à l’arrêt de la Cour Constitutionnelle.
De nouveaux débats sont alors agendés le 12 octobre 2016.
Quatrième acte.
The proof is in the pudding. Par jugement du 26 octobre 2016, le tribunal correctionnel de Gand ‘constate l’extinction de l’action publique’ dans le dossier G.S.
Le tribunal considère – à juste titre – qu’il peut juger l’affaire, « tout en se conformant aux considérations de la Cour Constitutionnelle » et donc en surpassant les limites – inconstitutionnelles – du contrôle purement formel.
Mais c’est dans ‘le pudding’ que le tribunal se perd finalement.
En effet, sauf sur le caractère ‘volontaire’ de la transaction dans le chef de l’accusé (ce qui ne faisait aucun doute) le tribunal se limite à ces considérations opaques et générales: « Le ministère public expliquait à cette audience les raisons de la transaction et comment le montant (€25.000) en est défini. Vu le contenu du dossier pénal et la motivation qu’offrait le ministère public à l’audience du 12 octobre 2016, le tribunal juge l’accord amiable proportionnel au regard des faits qui lui sont soumis. Le tribunal juge en outre que l’accord répond aux conditions formelles d’application de l’art. 216bis §1, al 1 C. i. cr. . Il n’y a on plus quelque autre violation de la loi ou d’une directive contraignante de la politique pénale ».
La constitution (art. 149) énonce pourtant - comme un socle de l’Etat de droit - que tout jugement doit être motivé. Dans ce jugement, je crains ne pouvoir que lire une référence générale à la motivation du parquet, sans même que cette dernière soit reproduite dans le jugement. On ne lit nulle part concrètement dans le jugement comment ou dans quelle mesure cette motivation du parquet soit vérifiée par le tribunal. C’est pourtant au tribunal de juger et non au parquet.
Il est loin d’être acquis que la Cour Constitutionnelle aurait envisagé une motivation pareille comme « un contrôle juridictionnel effectif » mais qui s’en plaindra ? Ni le parquet de Gand, ni l’ancien échevin G.S.
La question se pose si le juge, par des considérations pareilles, n’abdique pas lui-même de son pouvoir, ce troisième pouvoir de la Nation.
La pratique Gantoise illustre donc une fois de plus le manque d’assertivité dans la jurisprudence belge par rapport aux exemples américains (p. 153) dans mon livre.
Les juges américains refusent de servir de ‘rubber stamp’ dans ces affaires de transaction pénale. Et Earl Warren, le juge légendaire de la Cour Suprême posait souvent la question - bien au-dessus de la lettre du droit - qui est devenue le thème de mon livre : « But is it fair ? » - “est-ce que c’est juste ?”
Nous attendons la suite de Kazakhgate. Cette affaire a tout d’un thriller juridico-politique.
Comme j’écris dans mon livre (p. 147) et déclare dans De Morgen de ce jour « la justice belge effectuait un atterrissage sur le ventre et les helicos décollaient ».
Un message en rouge s’allume en haut pour la justice et la politique : ‘fasten your seat belts’.
kazakhgate la loi....
14 november 2016
Comme j’écris dans mon llivre ‘De kracht van rechtvaardigheid’ (p. 147) et déclare dans De Morgen de ce jour « la justice belge effectuait un atterrissage sur le ventre et les helicos décollaient ». Un message en rouge s’allume en haut pour la justice et la politique : ‘fasten your seat belts’.