Twitter case
Twitter case
2020-21
Affaire Twitter #justicewatcher c. "Ministre flamande de la Justice et du Maintien" Zuhal Demir
Chers collègues de la
Union flamande des journalistes (Vlaamse Vereniging van Journalisten @vvjournalisten)
Fédération européenne des journalistes (@EFJEUROPE )
Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (@ECPMF )
Index sur la censure (@IndexCensorship )
Cc Plate-forme du Conseil de l'Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes (@CoEMdediaFreedom )
Par la présente, je confirme formellement et documente la plainte que j'ai déposée auprès du point contact de l'Union flamande des journalistes (Vlaamse Vereniging van Journalisten - VVJ)
Ma plainte soulève des questions fondamentales au sujet du blocage sur les médias sociaux de citoyens et de journalistes par les politiciens (et en particulier les membres du pouvoir exécutif).
Je considère - et la jurisprudence le confirme – que les droits fondamentaux tels que la liberté d'expression et la mission de la presse comme ‘chien de garde de la démocratie’ sont en jeu.
Comme il s’agit d’une très longue lecture, je me permets de vous présenter d’abord les chapitres du contenu :
* Les parties impliquées dans cette affaire #justicewatcher c. la ministre flamande de la Justice et du Maintien Zuhal Demir
* Résumé de cette affaire
•Les conséquences pratiques du blocage sur Twitter
•Le caractère officiel du compte Twitter de la ministre Zuhal Demir
•L'importance de Twitter pour la citoyenneté
•L'importance encore plus fondamentale de Twitter pour le journalisme : la presse libre
•L'effet "paralysant" du blocage par l’exécutif
•La première alternative Twitter pour le ministre Demir : ne plus me suivre
•La deuxième alternative à Twitter : m’ignorer (muting)
•Les droits fondamentaux en jeu en raison du blocage : l'exemple du Knight First Amendment Institute de l'Université de Columbia contre Donald. Trump, Président des Etats-Unis
•Les plaignants
•Le Knight First Amendment Institute de l'Université de Columbia
•Les plaignants individuels dans cette affaire américaine contre le président Trump étaient très divers
•L'ordonnance de la juge Buchwald du 23 mai 2018 était limpide
•Ce jugement a été confirmé le 7 juillet 2019 par le Second Circuit de la Cour d'appel américaine
•"Censure", voilà le mot clé
•L'affirmation du jugement de la Cour de district ne pouvait se terminer sur une note plus éloquente (en appel) de la part du juge de circuit Barrington D. Parker
•L'audience en banc (séance plénière) de la Cour d'appel, demandée par le président Trump, a été rejetée le 23 mars 2020 par un vote de 7 contre 2
•Depuis lors, le président Trump a déposé une ‘demande de certiorari’ (pourvoi en Cassation) auprès de la Cour Suprême
•Idem pour Facebook
•Retour en Flandre, en Belgique, grâce à ce "Premier Amendement cosmopolite" : notre propre Constitution, nos lois clés en la matière, mais aussi les droits de l'homme fondamentaux, contrôlés par la Cour européenne des droits de l'homme (Strasbourg)
•Les sources de notre droit, la sauvegarde de la liberté d'expression et de la liberté de la presse
•La procédure : On se voit au tribunal ?
•L'exemple au Pays-Bas
•Les archives de Twitter
•Une illustration de cet aspect à Anvers : des historiens qui effacent l'histoire
•Enfin, cela nous amène à l'aspect démocratique
•Le maire de Miami, Philip Levine, un démocrate
•Le gouverneur du Kentucky Matt G. Bevin, un républicain
•Au Canada, Jim Watson, le maire d'Ottawa
•A New York, la célèbre @RepAOC
•C'est donc d'abord un appel : discutons !
•« La publicité est la sauvegarde du peuple » - merci à Edwy Plenel et Mediapart et… Bertrand Russell
Les parties concernées
Par courtoisie pour Mme Demir, je présente d'abord la ‘’défenderesse’ :
Mme Zuhal Demir (Twitter @Zu_Demir), membre du parti nationaliste et séparatiste flamand N-VA est devenue le 2 octobre 2019 la première "ministre flamande de la Justice et du Maintien" - avec des domaines de compétence limités (les Maisons de la Justice, les bracelets de cheville, et certains aspects de la protection de la jeunesse)
En effet, la Belgique dispose toujours d’un ministre fédéral de la Justice, avec des domaines de compétence beaucoup plus étendus (comme en France : le Garde des Sceaux)
Les autres compétences flamandes (bien plus importantes) du ministre Demir sont l'Environnement, l’Aménagement du Territoire, l’Énergie et le Tourisme.
Mme Demir est avocate (Licence en droit à la KULeuven et licence en droit social à la VUB) depuis 2004.
Elle a été élue depuis 2010 pour la N-VA en tant que membre du Parlement, dans l’enceinte de laquelle elle réalise un photoshoot pour le magazine flamand P-Magazine, considéré par certains comme ‘sexy’ : P-Magazine l’annonçait comme « « La vraie bombe du Parlement ».
De 2013 à 2017, elle a présidé l'Agence pour la stratégie d'intégration du gouvernement flamand.
Dans le gouvernement fédéral précédent, elle fut de 2017 à la fin de 2018 secrétaire d'État fédérale à la Lutte contre la pauvreté, à l'Égalité des chances, aux Personnes handicapées et à la Politique scientifique, chargée des Grandes villes, adjointe au ministre des Finances.
Elle s’est prononcée contre le port du voile à l’école et critique régulièrement UNIA (le Centre Interfédéral pour l’égalité des chances et contre le racisme). Elle se fait également remarquer en décrivant le Parti Socialiste (francophone) comme « presque un parti communiste » et le CD&V (parti social-chrétien flamand) comme « le nouveau parti des musulmans ».
En tant que "plaignant", je dois me présenter moi-même, Jan Nolf (Twitter @NolfJan)
J'ai travaillé 10 ans comme avocat (Licencié en droit et licencié en criminologie, UGent), puis 25 ans comme juge. J'ai pris ma retraite à 60 ans pour écrire et j'ai rejoint Twitter en tant que #justicewatcher (site web Justwatch.be) en 2012 pour accompagner mon nouveau travail d'auteur et de journaliste sur des sujets juridiques, politiques et sociaux (également des manuels sur la protection juridique des personnes handicapées).
Parmi mes quelque 10 000 followers sur Twitter, on trouve de nombreux hommes politiques, universitaires et journalistes.
En 2016, la Fondation P&V m'a décerné son Prix de la Citoyenneté ‘en tandem’ avec le juge d’instruction bruxellois Michel Claise, célèbre pour sa lutte contre la fraude financière et fiscale.
Le 28 novembre 2016, le ministre fédéral de la Justice et professeur de droit (KULeuven) de l'époque, M. Koen Geens, m'a envoyé une lettre de félicitations dans laquelle il mentionnait que « votre voix importante, qui se préoccupe de la justice, avec une attention particulière pour les citoyens vulnérables, est plus qu'entendue et pleinement appréciée. Que vous, en tant que magistrat et chroniqueur de premier plan dans le débat public, continuiez à œuvrer pour une amélioration du système judiciaire et une société ouverte, démocratique et solidaire, force notre respect. (...) Je vous souhaite beaucoup de succès avec votre nouveau livre ‘La force de la justice’. »
Résumé de cette affaire
Mme Demir et moi nous sommes déjà suivis quelques années sur Twitter, avant qu'elle ne devienne, le 2 octobre 2019, la première "ministre flamande de la Justice et du Maintien".
Le 28 septembre 2020, j'ai découvert que Mme Demir m'avait bloqué sur son compte officiel @Zu_Demir
Ce compte, avec 45.000 followers, est le compte officiel de la ministre, annoncé comme "Vlaamse minister van Justitie en Handhaving, Omgeving, Energie en Tourisme - et le résumé de son profil mentionne son cabinet ('vragen via kabinet.Demir@vlaanderen.be')
Je ne peux que deviner que la décision de la ministre a été inspirée par un incident survenu le 27 septembre 2020, suite à son insulte sur Twitter, décrivant M. Mathias De Clercq, maire (libéral) de Gand, comme un "stokende haatsmurf" ("schtroumpf haineux").
Ce dimanche-là, M. De Clercq avait critiqué avec un certain sarcasme ("Eindelijk samen, eindelijk verenigd. Eindelijk thuis" - "Enfin ensemble, enfin unis, enfin chez nous") la présence de membres du parti N-VA à la réunion d'extrême droite (rallye automobile) du parti extrémiste flamand Vlaams Belang contre le nouveau gouvernement fédéral "Vivaldi" à Bruxelles - réunion que la ministre flamande Demir défendait sur twitter comme "des gens qui sont légitimement en colère".
J'ai défié gentiment Mme Demir en citant Bart De Wever, le président de son propre parti nationaliste flamand N-VA qui venait de mettre en garde à la télévision (VRT 7Dag 27 09 2020) contre le "cafépraat" (en fait son propre "parler de comptoir" dans une émission précédente) et qui venait d’être cité dans le journal De Standaard (26 09 2020) demandant dans une réunion aux membres de son propre parti : "Hou jullie een beetje in" ("retenez-vous un peu").
Mon tweet commençait de manière informelle par "Allez Zuhal", ce qui ne doit pas être considéré comme agressif du tout, mais comme un appel à la détente.
Apparemment, le ministre m'a bloqué immédiatement, sans aucune réponse.
Ce même 28 septembre, j'ai envoyé un courrier électronique à son cabinet, exprimant également ma compréhension pour une certaine colère de son côté ("ira furor brevis est"), mais en vain.
Apparemment, la ministre n'a pas apprécié que je lui rappelle les propres avertissements du président de son propre parti. Quoi qu'il en soit, il ne fait aucun doute que mon mes tweets ne rentrent pas dans une catégorie de discours pouvant justifier ce genre d'action de la part d'un membre du gouvernement.
Pourquoi la ministre Demir, dans mon cas, a-t-elle été si radicale ce jour-là, alors que Bart De Wever, le président de son propre parti, la N-VA, a déclaré : "Être insulté est le prix de la liberté et nous payons ce prix avec plaisir" (commentaire du 13/01/2015 au sujet d’une caricature de GAL dans le magazine Knack, le comparant à … Hitler).
Présenter un homme politique flamand comme Hitler – ou insulter Mohammed par une caricature - ne pose donc pas de problème en Flandre, alors que mon tweet envers la ministre flamande fut considéré comme un blasphème, méritant le Tweet-enfer.
Il y a, en plus, deux poids, deux mesures.
En effet, d'autre part, lorsque j'ai vérifié il y a longtemps la liste des twitteurs que la ministre flamande de la Justice et du Maintien Demir a suivie - et suit probablement encore - vous trouvez de vrais exemples exécrables de diffamation, de fausses nouvelles et de haine.
Un exemple intéressant, ce compte Twitter que la ministre flamande de la Justice et du Maintien a suivi était @2Plot - un compte qui a disparu de Twitter (temporairement) à la mi-novembre 2020.
Dans son édition du 29 avril 2020, le magazine Knack a publié le démasquage de ce troll anonyme. Il s'agissait d'un avocat, également actif en tant que ‘juge suppléant’ – mais siégeant en tant que président de chambre - au Tribunal de commerce d'Ostende. Depuis 2011, il avait envoyé des milliers de tweets racistes, sexistes et autres messages détestables.
C’est un peu comme si en France, le Garde des Sceaux aurait suivi sur Twitter le troll xénophobe, démasqué par le Canard Enchainé (édition du 5 décembre 2018) comme étant le juge administratif Philippe Sauvannet (alors Fox51Silver).
Quoi qu'il en soit, aussi déroutant – sinon dégoutant - et contradictoire que soit ce choix Twitter d'une ministre flamande de la Justice et du Maintien, la ministre est parfaitement libre de suivre sur Twitter qui elle veut !
On ne choisit pas sur Twitter par qui on est suivi, mais on choisit librement qui on suit. ‘Suivre’ un compte Twitter n’inclut d’ailleurs pas un accord, même pas nécessairement une appartenance, mais il y a des comptes Twitter qu’une ministre de la Justice de du Maintien pourrait ne pas suivre. J’espère qu’on est d’accord, au moins sur cela.
Le ‘Maintien’ (du blocage sur Twitter par la ministre flamande de la Justice et du Maintien) me fait alors inévitablement penser à la devise de Guillaume Ier d’Orange-Nassau, qui mena les Pays-Bas à l’indépendance.
‘Je maintiendrai’ fut à l’origine la devise ‘Je maintiendrai Châlon’ de Philibert de Chalon-Arnay.
Dans une lettre de janvier 1565, Guillaume Ier d'Orange-Nassau donna les explications suivantes à sa devise « Je maintiendrai » (source Wikipedia):
« Je maintiendrai la vertu et noblesse.
Je maintiendrai de mon nom la haultesse.
Je maintiendrai l'honneur, la foy, la loy
de Dieu, du Roy, de mes amys et moy. »
Quitte à la ministre flamande de la Justice de choisir ‘ses amys’ sur Twitter avec des vertus assez discutables, la seule question que je me pose, c'est le ‘maintien’ de la Ministre du blocage de mon compte en tant qu'écrivain et journaliste, spécialisé dans le droit et la …. justice.
Les conséquences pratiques du blocage sur Twitter
Comme je l'ai expliqué dans mon courrier du 28 septembre 2020 à la ministre Demir, un blocage sur Twitter a de nombreuses conséquences.
Non seulement lire les tweets de la personne ou de l'organisation qui vous en interdit l'accès n’est plus possible.
De plus, vous perdez toutes les informations de Twitter - directement envoyées par la personne qui vous bloque - non seulement à partir du blocage, mais aussi tous ses tweets du passé.
Un mur chinois s'élève pour tous les messages publics et privés (DM, Direct Message) qui ont été échangés entre vous dans le passé.
En outre, vous perdez vis à vis du ‘bloqueur’ toute possibilité de de l'essence même de la plateforme Twitter : l'interaction.
Impossible de poser de questions au titulaire de ce compte, impossible de retweeter avec un commentaire, ou même de "liker" (‘aimer).
Le bloqueur peut encore continuer à commenter sur vous (et le fait souvent) mais vous n'êtes pas - du moins pas directement – au courant de ces lâches attaques dans votre dos.
Même si vous pouvez voir les interactions des autres, avec la personne/organisation qui vous a bloqué, la ligne directe de communication est rompue et vous ne pouvez pas vérifier le tweet initial : vous êtes dans le noir, vous êtes "out" - hors la loi sur Twitter.
Le caractère officiel du compte Twitter de la ministre Zuhal Demir
Dans le même courrier du 28 septembre 2020 adressé à la ministre Demir, j'ai souligné le caractère officiel de son compte Twitter expressis verbis en sa qualité de ministre flamande de la Justice et de l'Exécution, en mentionnant explicitement le site web de l'administration flamande.
Même si les politiciens utilisent souvent leur compte officiel sur les médias sociaux pour publier des messages relatifs à leur propre politique de parti d'une part, mais aussi pour promouvoir les aspects (publics) de leur vie familiale d'autre part, il ne fait aucun doute que ce compte Twitter @Zu_Demir est opérationnel en tant que seul compte Twitter de la ministre Demir dans sa fonction officielle.
Comme dans l'affaire Knight First Amendment Institute At Columbia University e.a. c. Donald J. Trump, président des États-Unis (affaire 1;17-cv-05205 US District Court for the Southern District of New York), notre ministre flamande de la Justice et du Maintien, Zuhal Demir, utilise ce compte "pour annoncer, décrire et défendre (ses) politiques, pour promouvoir le programme législatif de (son) administration ; pour annoncer des décisions officielles ; pour s'entretenir avec (...) des dirigeants politiques ; pour annoncer (...) des visites ; pour contester les organisations médiatiques dont la couverture de (son) Administration (elle) estime qu'elle est injuste ; et pour d'autres déclarations, y compris, à l'occasion, des déclarations sans rapport avec les affaires officielles du gouvernement. ” (p.10/75)
Dans son ordonnance du 23 mai 2018 dans cette affaire, la juge Buchwald a ajouté que "le président Trump utilise parfois son compte pour annoncer des affaires liées aux affaires officielles du gouvernement avant que ces affaires ne soient annoncées au public par d'autres canaux officiels" - une pratique que nous observons souvent aussi dans la politique en Belgique et en France. ‘Quand il pleut à Paris, il bruine à Bruxelles’ est devenu ‘Quand il pleut aux Etats-Unis, il pleut en Europe’.
C'est exactement la raison pour laquelle tous les médias professionnels suivent les hommes politiques et en particulier les membres du Cabinet. Les nouvelles ne proviennent pas d'abord des communiqués de presse ou du Moniteur belge (‘Belgisch Staatsblad’) ou au ‘Journal Officiel (en France), mais de Twitter.
Il y a en effet une différence, entre les législateurs en général et les membres du pouvoir exécutif. Les ministres et secrétaires d'État font plus que de la "politique" au sens partisan du terme, ils prennent des décisions qui ont un impact sur notre vie quotidienne et ils en informent le public, parfois de manière "rapide et furieuse" via Twitter.
Entretemps, certainement sans le vouloir, le caractère officiel de ce compte Twitter vient d’être confirmé de manière tout à fait inattendue par une autorité officielle flamande.
Ce 3 décembre 2020, le ‘Vlaamse Ombudsman’ Bart Weekers a réagie d’une manière très particulière à mon interview de la veille. Sans être sollicité (en tout cas pas par moi) il annonçait sur Twitter (et confirmait au magazine Knack) « Un ministre flamand a 6 millions de citoyens et 50.000 suiveurs. Le gouvernement flamand devrait surtout investir afin d’attendre ces 5.950.000 autres citoyens – alors il atteindra aussi ce petit mouton bloqué ».
Interrogé par le magazine Knack, il y ajoutait qu’il « ne s’inquiétait pas particulièrement de la liberté de la presse en Flandre ».
Son compte Twitter professionnel annonce pourtant à répétition (encore 2 fois le 26 octobre 2020) que sa fonction lui interdit de s’exprimer sur les réseaux sociaux sur des cas spécifiques – ce qui va de soi dans la tradition élémentaire ‘audiatur et altera pars’ (écoutons l’autre partie dans l’affaire).
Donc tout fut néanmoins déjà dit : un pseudo-jugement à défaut, sans demande sans convocation, sans audience, sans appel.
Flandria locuta, causa finita.
La Flandre nationaliste et autoritaire est décidément bien ‘en marche….’ – mais ce danger pour la démocratie est exactement le thème de nombre de mes articles et de mon livre ‘La force de la justice’.
L'importance de Twitter pour la citoyenneté
Dans leur première plainte, déposée le 11 juillet 2017 dans l'affaire Knight First Amendment Institute At Columbia University e.a. contre Donald J. Trump, président des États-Unis, les plaignants ont fait valoir :
« Comme la Cour Suprême l'a reconnu il y a quelques semaines, les plateformes de médias sociaux comme Facebook et Twitter constituent "peut-être le mécanisme le plus puissant dont dispose un citoyen pour se faire entendre" - Packingham contre Caroline du Nord. Ces plateformes ont été "révolutionnaires", notamment parce qu'elles ont transformé l'engagement civique en permettant aux élus de communiquer instantanément et directement avec leurs électeurs. (...) Twitter permet aux citoyens ordinaires de s'adresser directement aux fonctionnaires, d'écouter et de débattre des questions d'intérêt public, à peu près de la même manière qu'ils auraient pu se réunir sur un trottoir ou dans un parc public, ou encore lors d'une réunion du conseil municipal ou de la mairie".
En cette époque Covid-19, c’est autant plus vrai.
La juge de district américaine Naomi R. Buchwald a convenu dans son mémorandum et son ordonnance du 23 mai 2018 (p. 5-6 de 75) que
"Une caractéristique déterminante de Twitter est la capacité d'un utilisateur à rediffuser ou à répondre aux messages des autres et à interagir avec d'autres utilisateurs de Twitter en relation avec ces messages. (...) La collecte des réponses et des réponses aux réponses est parfois appelée "fil de discussion". Twitter est appelé une plateforme de médias "sociaux" en grande partie à cause des fils de commentaires, qui reflètent les multiples "conversations" qui se chevauchent entre et parmi les groupes d'utilisateurs".
L'importance encore plus fondamentale de Twitter pour le journalisme : la presse libre
Ce point est évident et crucial. Twitter a largement dépassé Twitter.
En cette époque de Trumpisme quasi mondial, les nouvelles à la télévision et les titres des journaux commencent souvent ou sont documentés par les tweets des politiciens concernés. Il n'est pas rare qu'un tweet soit traité comme un #BreakingNews lui-même.
Jamais dans l'histoire, les nouvelles - ou ce qui est considéré comme tel - n'ont voyagé aussi vite, et cela est sans aucun doute dû aux médias sociaux.
La vitesse à laquelle les informations (faits, commentaires...) sont produites par le deuxième pouvoir (l'exécutif) exige une vérification tout aussi rapide par la presse - dans son rôle de "quatrième pouvoir" dans le contrôle et l’équilibre d’un gouvernement démocratique et de l'État de droit.
Ceci est particulièrement urgent dans la nouvelle ère des #FakeNews, car les "fausses nouvelles se répandent de plus en plus vite" (Steve Lohr, citant une recherche du M.I.T. dans le NYT du 8 mars 2018).
Cette tâche est rendue pratiquement impossible pour les journalistes qui sont bloqués.
C'est comme s'ils étaient - plusieurs fois par jour - physiquement éjectés de conférences de presse cruciales : cf. le procès intenté par CNN en 2018 contre la Maison Blanche pour avoir révoqué les lettres de créance de son principal correspondant à la Maison Blanche, Jim Acosta.
Le juge Timothy J. Kelly, président de la Cour de district des États-Unis à Washington D.C., a jugé alors que la Maison Blanche s'était comportée de manière inappropriée en retirant à M. Acosta son badge de presse après un échange désagréable lors d'une conférence de presse. Le juge a ordonné à l'administration Trump de rétablir ce badge de presse de Jim Acosta de CNN.
Bien que la portée de cette décision soit très limitée ("elle n'avait pas pour but de consacrer le droit d'accès des journalistes et il n'a pas été déterminé que le Premier Amendement avait été violé ici"), elle mérite quand même d'être mentionnée ici.
Après un blocage sur Twitter, vous ne pouvez plus vraiment "suivre": pas sur Twitter, mais vous ne le pouvez pas non plus dans le monde réel du journalisme rapide. Les tweets de la ministre Demir sont peut-être "ouverts à tous", mais pas à vous. Les "Likes" et les "retweets" sont interdits et vous devez chercher des solutions de contournement, comme vous déconnecter ou créer un nouveau profil (anonyme).
Dès que vous êtes bloqué, il vous manque la source originale : la personne/organisation qui a déclaré ceci ou cela - ce que d'autres (que vous pouvez encore lire) commentent. Mais vous ne pouvez pas faire l'essentiel de ce travail journalistique : vérifier la source originale, car "les mots comptent, les faits comptent".
Les mots sont déjà des faits, alors les mots qu’on vous cache deviennent des faits cachés.
Les voix les plus critiques s’éteignent dans cette bataille virtuelle - mais réelle - pour la démocratie : les "freins et contrepoids" pèsent dans l'autre sens, celui des puissants.
La discrimination des points de vue est illégale selon l'art. 10 DE LA CEDH.
L'idéologie motivante spécifique ou l'opinion de l'auteur ne peut jamais être la raison de la restriction :
“171. L'intérêt public concerne généralement les questions qui touchent le public dans une mesure telle qu'il peut légitimement s'y intéresser, qui attirent son attention ou qui le concernent de manière significative, notamment en ce qu'elles affectent le bien-être des citoyens ou la vie de la communauté. C'est également le cas des questions susceptibles de susciter une controverse considérable, qui concernent une question sociale importante ou qui portent sur un problème dont le public aurait intérêt à être informé. L'intérêt public ne peut être réduit à la soif d'information du public sur la vie privée d'autrui, ni à la volonté d'un public de faire du sensationnel, voire du voyeurisme (voir Couderc et Hachette Filipacchi Associés, précité, §§ 101 et 103, et les autres références qui y sont citées).
172. Il est incontestable que le fait d'autoriser l'accès du public aux documents officiels, y compris aux données fiscales, vise à garantir la disponibilité d'informations dans le but de permettre un débat sur des questions d'intérêt public. Cet accès, bien que soumis à des règles et des restrictions légales claires, a un fondement constitutionnel dans le droit finlandais et est largement garanti depuis de nombreuses décennies (voir paragraphes 37-39 ci-dessus).
173. La politique législative finlandaise consistant à rendre les données fiscales accessibles au public a été étayée par la nécessité de veiller à ce que le public puisse contrôler les activités des autorités gouvernementales.
(Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande [GC ECHR 931/13 7 juin 2017], § 171-173)
La démocratie meurt dans l'obscurité (nous avertit le NYT) : cette obscurité est ce que certains politiciens créent sur Twitter en excluant les journalistes qui osent poser des questions embarrassantes, en faisant la lumière sur les politiques louches et en vérifiant la ‘res publica’.
Twitter devient la "chambre d'écho" de ces politiciens peu enclins à la critique. Ils favorisent une presse amicale ou docile : non pas le quatrième pouvoir constitutionnel, mais un allié trié sur le volet du deuxième, l'exécutif.
Deb Roy, l'un des auteurs du rapport du M.I.T. conclut dans le NYT : "La polarisation s'est révélée être un excellent modèle économique" - pour les autoritaires et les populistes.
L'effet paralysant d'être bloqué par l’exécutif
Les conséquences d'être bloqué par un citoyen ordinaire ou par un membre du pouvoir exécutif sont tout à fait différentes.
L'"arrogance du pouvoir" (selon l'avertissement du légendaire sénateur William Fulbright) vous écarte de la ligne de communication du gouvernement. Impossible de soulever directement une question, d'objecter, de faire une remarque ou d'être en désaccord.
En tant que citoyen, et plus encore en tant que journaliste, vous cessez presque d'exister.
Un peu comme dans ce thriller juridique français de Yannik Chauvin : "Que ton nom ne soit plus" : tu cesses d'exister.
Mais être bloqué sur Twitter ne s'arrête pas à votre malaise personnel en tant que citoyen ou journaliste.
Le message est plus que ça : "nous ne voulons pas de vous sur Twitter, vous n'êtes pas l'un des nôtres, nous vous jetons dehors".
Cette intimidation va vite et plus loin - comme prévu : elle fait peur aux autres.
Alors comment réagir dans un premier temps ? Je le fais à ma façon, précisément pour combattre cette peur que l’autoritarisme cherche à installer : je brandis sur Twitter à mon tour les blocages qui me sont imposés. Je leur retourne leurs blocages comme avec un bras d’honneur, un défi.
En somme, je leur envoie ce message : non, je n’ai pas peur, vous ne me ferez pas peur.
La première alternative Twitter pour la ministre Demir : ne plus me suivre
Cela aurait pu être la première étape - évidente - pour la ministre flamande de la Justice et du Maintien - avant même la deuxième étape (mutisme).
En effet, les comptes mutés que vous suivez, apparaîtront toujours dans vos Notifications.
Mais pour les comptes muets que vous ne suivez pas, aucune réponse et aucune mention n'apparaîtra (dit UsingTwitter).
J'ai suivi la ministre flamande de la Justice et du Maintien sur Twitter, mais je suis parfaitement d'accord avec son propre ‘unfollowing’ à mon égard : c'est essentiellement le choix que tout le monde a sur Twitter.
De plus, même si vous ne suivez pas quelqu'un sur Twitter, vous pouvez toujours lire ses tweets, tant qu'il ne vous bloque pas.
D'un point de vue politique ou même pratique, il est parfaitement compréhensible que certains politiciens préfèrent ne pas suivre (officiellement) un critique, même s'ils vérifient de temps en temps le compte Twitter de ses commentaires.
La ministre flamande de la Justice et du Maintien Zuhal Demir aurait pu choisir cette première voie, mais elle ne l'a pas fait : non seulement elle ne voulait rien entendre de moi, mais elle voulait me faire taire.
La deuxième alternative à Twitter : me ‘muter’
Le ‘muting était la deuxième étape évidente et possible pour la ministre flamande de la Justice et du Maintien, avant sa décision abrupte de me faire taire en me bloquant.
La ‘mise en sourdine’ est une approche totalement différente : le bouton de mise en sourdine vous permet de supprimer les Tweets d'un compte de votre emploi du temps sans avoir à débloquer ou à bloquer ce compte.
L'avantage est que vous ne recevrez plus de notifications ‘push’ de ce compte mis en sourdine.
Pour la deuxième fois : Je suis tout à fait d'accord avec cette option !
Aucun politicien n'est obligé de remarquer vos tweets, et encore moins d'y répondre, tout comme il n'est pas obligé de répondre au téléphone si vous appelez son bureau.
Même pour un membre de mon gouvernement flamand, c'est le droit de ne pas lire les messages d'un contribuable qui se trouve être également journaliste et qui publie dans son domaine de compétence spécifique.
Cela en dit long sur ce gouvernement, mais soit.
La ministre Demir aurait pu choisir cette deuxième voie, mais là encore, elle ne l'a pas fait : elle a préféré ne rien entendre du tout de ma part, car elle m'a brutalement bloqué, sans réponse, sans explication et sans motivation.
L'intention est claire : faire taire une voix.
Pour un ministre de la justice, faire taire un journaliste dédié à la justice : il faut le faire.
Puis-je ajouter ceci à propos du "muting" : dans l'affaire "Knight First Amendment Institute At Columbia University v. Donald Trump, President of the United States", la juge Buchwald
"a suggéré lors de la plaidoirie que les parties envisagent une résolution de ce litige dans le cadre de laquelle les plaignants individuels seraient débloqués et ensuite mis en sourdine, une approche qui permettrait de restaurer la capacité de l'individu à interagir directement avec (y compris en répondant directement aux) tweets du compte @realDonaldTrump tout en préservant la capacité du Président à ignorer les tweets envoyés par des utilisateurs dont il ne souhaite pas entendre parler".
Aucun accord de ce type n'a été conclu dans ce cas américain, ni, pour l'instant, dans le mien avec la ministre flamande de la Justice et du Maintien.
Le 28 septembre 2020, j'ai reçu une confirmation automatique de mon courrier, mais aucune réponse de la ministre, ni de son porte-parole, ni de son administration.
Les droits fondamentaux en jeu en raison du blocage : l'exemple du Knight First Amendment Institute de l'Université de Columbia contre Donald. Trump, président des États-Unis.
Les plaignants
Le Knight First Amendment Institute de l'Université de Columbia
Le "Knight Institute" (Twitter @knightcolumbia ) milite pour la défense et le renforcement des libertés d'expression et de la presse à l'ère numérique par le biais de litiges stratégiques, de la recherche et de l'éducation publique.
Le Premier Amendement est une partie essentielle de la "Bill of Rights" américaine.
Son histoire en bref (citation du site de la Maison Blanche) : "L'un des principaux points de discorde entre les fédéralistes et les anti-fédéralistes était l'absence d'une énumération des droits civils fondamentaux dans la Constitution. De nombreux fédéralistes ont fait valoir que le peuple n'a renoncé à aucun droit en adoptant la Constitution. Dans plusieurs États, cependant, le débat sur la ratification dans certains États reposait sur l'adoption d'une déclaration des droits. La solution a été connue sous le nom de "Compromis du Massachusetts", dans lequel quatre États ont ratifié la Constitution tout en envoyant des recommandations d'amendements au Congrès.
James Madison a présenté 12 amendements au premier Congrès en 1789. Dix d'entre eux allaient devenir ce que nous considérons aujourd'hui comme la Déclaration des droits".
Citons donc ce Premier Amendement fondamental : "Le Congrès ne fera aucune loi concernant l'établissement d'une religion, l'interdiction de son libre exercice ou la limitation de la liberté d'expression ou de la presse ou de la liberté du peuple de se réunir pacifiquement et de demander au gouvernement de réparer ses torts".
Ces mots vous semblent familiers si vous lisez la constitution d'un pays démocratique, la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948) ou la Convention européenne des droits de l'homme (1950).
Ces mots et ces droits sont devenus véritablement cosmopolites : "Il révèle un Premier Amendement cosmopolite qui protège les conversations transfrontalières, facilite la diffusion mondiale des principes démocratiques, reconnaît les libertés d'expression et de religion indépendamment du lieu, est influent dans le monde entier et encourage un engagement respectueux avec les régimes de liberté des autres nations. Le Premier Amendement cosmopolite est le produit de développements historiques, sociaux, politiques, technologiques et juridiques".
(Timothy Zick, The Cosmopolitan First Amendment. Protecting Transborder Expressive and Religious Liberties', Cambridge University Press 2015).
Cependant, cette lutte se poursuit, plus que jamais depuis la fin du Troisième Reich, avec la nouvelle poussée du populisme et de l'autoritarisme.
Le célèbre avocat et juriste Floyd Abrams cite le juge Hugo Black dans "The Soul of the First Amendment" (Yale University Press 2017) : "La raison même du Premier Amendement est de permettre aux habitants du pays de penser, de parler, d'écrire et de pratiquer leur religion comme ils le souhaitent, et non comme le gouvernement l'ordonne".
Abrams note que dans ce qui fut connu sous le nom de "Discours des quatre libertés" de F.D.R. en 1941, la première liberté était la liberté d'expression.
Avec Kathleen Sullivan, l'ancienne doyenne de la faculté de droit de Stanford, Abrams prévient que "la censure est contagieuse. Permettre au gouvernement de limiter le discours de certains, c'est inévitablement mettre en danger les droits de tous".
Les plaignants individuels dans cette affaire américaine contre le président Trump étaient très divers
Rebecca Buckwalter (@rpbp) est écrivain et consultante politique, Philip Cohen est professeur de sociologie à l'université du Maryland (@familyunequal ), Holly Figueroa est organisatrice politique et compositrice (@AynRandPaulRyan ), Eugene Gu est résident en chirurgie générale au centre médical de l'université Vanderbilt (@eugenegu ), Brandon Neely est officier de police (@BraondonTXNeely ), Joseph Papp est un défenseur de la lutte contre le dopage et un ancien cycliste professionnel (@joepabike ), Nicholas Pappas est un auteur et un comique (@Pappiness).
En tant qu'écrivain - bien que je ne sois pas encore un comique - je pourrais figurer dans cette liste.
De toute façon, on ne peut pas survivre dans la jungle juridique sans humour.
L'humour est l'or verbal. L'humour nous unit. L'humour apaise les tensions, mais l'humour a aussi cette touche désarmante de véracité.
Je n'oublierai jamais ces beaux moments, comme lorsque le comédien de stand-up Michael Van Peel m'a invité à Radio 1 comme son ‘invité d'été’, ou lorsque Bert Kruismans a conclu son éloge à mon Prix de la Citoyenneté P&V : "Jan Nolf a entendu la voix de Stéphane Hessel".
Les juristes ne patinent souvent que sur la surface glacée, les comédiens de stand-up vont au fond des choses.
L'ordonnance de la juge Buchwald du 23 mai 2018 était limpide
"Bien qu'il existe d'autres moyens de voir les tweets du Président, (les plaignants) ne peuvent pas voir les tweets originaux eux-mêmes lorsqu'ils sont connectés à leurs comptes bloqués, et dans de nombreux cas, il est difficile de comprendre les tweets de réponse sans le contexte des tweets originaux" (page 21/75) (...)
Ces limitations sont également particulières, dans la mesure où elles ont affecté et affecteront les plaignants individuels de manière "personnelle et individuelle" (...) et la capacité à communiquer a été et sera limitée en raison de la propriété personnelle de chaque plaignant individuel d'un compte Twitter qui a été bloqué".
La juge Buchwald a conclu que "le discours (de Twitter) dans lequel les plaignants individuels cherchent à s'engager est un discours protégé par le premier amendement" et est donc un "discours protégé" (p. 37/75).
Ces "réponses aux tweets du président restent le discours privé de l'utilisateur qui répond (et ne rend pas) le discours gouvernemental de réponse" (p. 56/75).
Comme le compte Twitter du président Trump est "généralement accessible au grand public sans considération d'affiliation politique ou de tout autre critère limitatif", la juge Buchwald le compare à "un parc (qui) peut accueillir de nombreux orateurs et, au fil du temps, de nombreux défilés et manifestations" (p. 57/75) : "l'espace interactif est capable d'accueillir un grand nombre d'orateurs publics sans pour autant perdre sa fonction essentielle (...) de permettre à des orateurs privés de s'intéresser au contenu du tweet".
Ainsi, cet "espace interactif est un forum public désigné" (p. 61/75) et "l'espace interactif des tweets du Président accueille un volume important d'activités expressives (...) et constitue un forum public désigné" (p. 62/75).
Bien entendu, admet la juge Buchwald, le blocage est autorisé dans ce forum public désigné, bien que "seulement s'il est étroitement lié à la réalisation d'un intérêt d'État impérieux", mais "dans ce cas, les plaignants individuels ont été indiscutablement bloqués en raison d'une discrimination de point de vue" – ce qui est inadmissible en vertu du premier amendement (p. 63/75).
La juge Buchwald a conclu que "l'audience d'une réponse s'étend plus largement que l'expéditeur du tweet auquel on répond, et le blocage restreint la capacité de l'utilisateur bloqué à parler à cette audience" (p. 67/75).
"Reconnaissant les droits personnels du Président au titre du Premier amendement, il ne peut pas exercer ces droits d'une manière qui porte atteinte aux droits correspondants du Premier amendement de ceux qui l'ont critiqué" (p. 68/75), conclut la juge Buchwald.
Ce jugement a été confirmé le 7 juillet 2019 par le Second Circuit de la Cour d'appel américaine
La Cour rejette également la réponse du gouvernement Trump selon laquelle les plaignants peuvent s'engager dans des "workabouts" tels que la création de nouveaux comptes, la déconnexion pour voir les tweets du Président et l'utilisation des fonctions de recherche de Twitter pour trouver des tweets au sujet du Président postés par d'autres utilisateurs avec lesquels ils peuvent s'engager.
Le juge de circuit Barrington D. Parker écrit : "Nous concluons que le premier amendement ne permet pas à un fonctionnaire public qui utilise un compte de média social à toutes sortes de fins officielles d'exclure des personnes d'un dialogue en ligne ouvert à d'autres personnes pour la simple raison que les points de vue exprimés sont en en désaccord avec cette autorité publique".
En effet, "parce que le Président (...) agit à titre officiel lorsqu'il tweet, nous concluons qu'il agit au même titre lorsqu'il bloque ceux qui ne sont pas d'accord avec lui" (p/ 19/29).
D'une manière générale, "les médias sociaux ont droit aux mêmes protections du Premier Amendement que les autres formes de médias". (p.22/29).
Il convient de noter que dans cette procédure en appel, le gouvernement n'a plus contesté la conclusion du tribunal de district selon laquelle le discours dans lequel les plaignants individuels cherchent à s'engager est un discours protégé : "à défaut de cela, il soutient que le blocage n'a pas interdit ou alourdi le discours de quiconque" (p. 24/29).
Bien sûr, la Cour admet que "le gouvernement a raison de dire que les plaignants individuels n'ont pas le droit d'exiger que le président écoute leur discours" mais "les restrictions de discours en question entravent (leur) capacité à converser sur Twitter avec d'autres personnes qui pourraient parler au président ou à son sujet" (p. 24/29). (...) Une fois qu'il ouvre les fonctionnalités interactives de son compte au grand public, il n'a pas le droit de censurer certains utilisateurs parce qu'ils expriment des points de vue avec lesquels il n'est pas d'accord"". (p.25/29).
"Censure", voilà le mot clé
Même le gouvernement Trump admet que ces "mesures d’évitement" (‘workarounds’) constituent un problème pour le demandeur individuel (p. 26/29), note la Cour, en remarquant que "les fardeaux, imposés à la parole, autant comme que les interdictions catégoriques vont à l'encontre du premier amendement".
Enfin, "lorsque le gouvernement a exercé une discrimination à l'encontre d'un interventant en se fondant sur le point de vue de ce dernier, la possibilité de s'engager dans un autre discours ne remédie pas à cette lacune constitutionnelle".
L'affirmation du jugement de la Cour de district ne pouvait pas se terminer sur une note plus éloquente que celle de la part du juge de circuit Barrington D. Parker
"L'ironie dans tout cela est que nous écrivons ces lignes à un moment de l'histoire de cette nation où la conduite de notre gouvernement et de ses fonctionnaires fait l'objet d'un débat large et vigoureux. Ce débat englobe un éventail extraordinairement large d'idées et de points de vue et génère un niveau de passion et d'intensité rarement vu. Ce débat, aussi inconfortable et désagréable qu'il puisse être fréquemment, est néanmoins une bonne chose. En résolvant ce recours, nous rappelons aux parties et au public que si le Premier Amendement a une signification, c'est que la meilleure réponse à un discours critique sur des questions d'intérêt public est de parler plus et non moins".
L'audience ‘en banc’ de la Cour d'appel (séance plénière), demandée par le Président Trump, a été rejetée le 23 mars 2020 par un vote de 7 contre 2.
En effet, la Cour d'appel a rejeté le 23 mars 2020 par un vote de 7 contre 2 : "La question cruciale dans cette affaire n'est pas la nature du compte lorsqu'il a été créé il y a dix ans. La question cruciale aux fins du premier amendement est de savoir comment le président utilise le compte en sa qualité de président" (p. 4 et 10/16)
La Cour a ensuite ajouté que "même si le compte (du Président Trump) était un forum non public, il n'est pas permis d'exclure les personnes qui expriment des opinions défavorables" (p. 11/16).
Citant la page "About" de Twitter ("Spark a global conversation" et "See what people talk about"), la Cour note que "les forums publics sont utilisés à des fins de rassemblement, de communication de pensées entre les citoyens et de discussion de questions publiques. C'est précisément ce que font les médias sociaux. Twitter ne fait pas exception". (p. 12/16)
En effet, les juges Park et Sullivan ont émis une opinion dissidente (14 pages), mais - comme je l'ai préconisé dans mon livre ‘La force de la justice. Plaidoyer pour une Justice plus juste’ (NowFuture Editions 2017)- cela n'a fait que mettre au défi la majorité de la Cour de motiver son opinion encore plus clairement.
Depuis lors, le président Trump a déposé une demande de certiorari (à comparer avec un pourvoi en Cassation) auprès de la Cour suprême
La Cour suprême a déjà "reprogrammé" l'affaire quatre fois (la dernière fois le 18 novembre 2020) et devinez : le jour de l'inauguration de Joe Biden approche.
Il faut cependant dire qu'après que le Knight Institute ait prévalu dans cette affaire, la Maison Blanche a débloqué les plaignants ainsi que des dizaines d'autres que le président avait bloqués sur la base de leur point de vue.
Selon le Knight Institute, la Maison Blanche a cependant refusé de débloquer deux catégories d'individus : ceux qui ne peuvent pas préciser le tweet qui a provoqué le blocage du président, et ceux qui ont été bloqués avant l'entrée en fonction du président.
Le 31 juillet 2020, le Knight Institute a intenté un deuxième procès au président et à son personnel pour avoir continué à bloquer ces critiques.
Idem pour Facebook
Le Knight First Amendment Institute a plaidé avec succès une affaire similaire après qu'un fonctionnaire ait bloqué une critique sur Facebook. Le 7 janvier 2019, la Cour d'appel américaine (Fourth Circuit Davison v. Randall No 17-2002) a confirmé que le Premier Amendement interdit la censure gouvernementale sur les nouvelles plateformes de communication.
La Cour affirmait que certains aspects de cette page Facebook "portent les caractères d'un forum public" et que la décision d'interdire le citoyen critique constituait une "évidente discrimination de point de vue".
Retour en Flandre, en Belgique, grâce à ce "Premier Amendement cosmopolite" : notre propre Constitution, nos lois clés en la matière, mais aussi les droits de l'homme fondamentaux, contrôlés par la Cour européenne des droits de l'homme (Strasbourg)
Les sources de notre droit, la sauvegarde de la liberté d'expression et de la liberté de la presse.
Le premier amendement n'est pas seulement une partie essentielle de la "Bill of Rights" américaine. Nous retrouvons ces droits fondamentaux dans les constitutions et les lois de toutes les sociétés démocratiques.
Pour la Belgique, nous lisons ces droits dans notre propre Constitution du 7 février 1831 garantissant la liberté d'expression (art. 10, 11, 25, 26, 27, 28...), mais aussi dans la Convention européenne des droits de l'homme (Rome, 4 novembre 1950), la Charte des droits fondamentaux de l'UE (Nice, 7 décembre 2000) et la Déclaration universelle des droits de l'homme (Paris, 10 décembre 1948).
Aux États-Unis, il est juridiquement pertinent de déterminer si le compte est (1) un forum public traditionnel, (2) un forum public désigné (& sous-catégorie : forum public limité) ou (3) un forum non public afin de déterminer comment un gouvernement peut se livrer à une discrimination fondée sur le contenu.
Dans l'UE, une voie différente est suivie : la règle est la liberté d'expression, mais des restrictions sont possibles si elles sont prescrites par la loi, nécessaires dans une société démocratique ou destinées à protéger certains intérêts.
L'"analyse du forum" américaine est toujours d'actualité pour nous : l'analyse du forum est pertinente en ce qui concerne l'accès à l'information.
En outre, mais particulièrement intéressant dans ce cas est le décret flamand sur la liberté d'information (article 32 de la Constitution modifié sur le droit d'accès aux documents détenus par le gouvernement, suivi du décret flamand précédent et de la loi belge sur la liberté d'information du 11 avril 1994) du 7 décembre 2018 (appliqué depuis le 1er janvier 2019) - qui s'applique directement à cette affaire Demir.
Il est presque amusant de noter que les tweets du ministre de la Justice et du Maintien sont essentiellement publics, puisqu'ils sont publiés sur cette plateforme de médias sociaux. C’est bien kafkaïen que cette information publique devienne une sorte de secret pour les citoyens bloqués, pour être ensuite découverte en utilisant des "workarounds" (des détours) comme ceux mentionnés dans l'affaire contre le président Trump.
Il est également troublant que - pour obtenir cette information publique - les journalistes seraient obligés de créer de faux comptes Twitter ou des comptes Twitter anonymes : c'est en fait exactement ce que font les Twitter trolls du AltRight pour nous attaquer.
C'est vraiment le monde juridique et réel à l'envers. Dans une société libre, les citoyens et les journalistes ne devraient pas être obligés d'aller "clandestin" pour pouvoir lire les déclarations officielles d'un ministre.
Ainsi, la fonction de surveillance (watch dog) de la presse est mise à mal : le blocage supprime un élément essentiel de vérification démocratique.
Comme la décision du ministre n'a été motivée (et même pas communiquée) d'aucune manière, une autre loi (fédérale) belge s'applique également (également pour un ministre flamand) : la loi du 29 juillet 1991 concernant la motivation spécifique des actes administratifs (Wet betreffende de uitdrukkelijke motivering van de bestuurshandelingen).
Un refus doit toujours se justifier. Toute décision gouvernementale doit être motivée dans sa forme et son contenu selon les critères légaux. Il s'agit d’ailleurs d'un principe de "bonne gouvernance" qui comprend des critères tels que le caractère raisonnable, la diligence appropriée et la proportionnalité.
En effet, le "blocage" abrupt ressemble plutôt à un acte issu de l'Ancien Régime, lorsque le roi de France annonçait ses décisions avec "Car tel est notre Plaisir" ou dans l'ancien français de Louis XIII, conseillé par Richelieu "Car ainsi nous plaist il être fait" ("Parce qu'il nous plaît de le faire").
Cette époque est révolue et ne devrait pas revenir, mais nous connaissons l'allergie de l'élite néoconservatrice burkienne, inspirée par les "Réflexions sur la Révolution en France" (1790), aux Lumières et à Voltaire, mais essentiellement, son allergie à la démocratie.
Pour compléter le tableau juridique, nous mentionnons la loi belge anti-discrimination du 10 mai 2007 qui inclut également comme critère de discrimination, la "conviction politique", "le fait que quelqu'un adhère à une école de pensée politique particulière, sans devoir être membre à part entière d'un parti politique". (source : UNIA, une institution publique indépendante qui lutte contre la discrimination et promeut l'égalité des chances. Avec une compétence interfédérale, ce qui signifie qu'en Belgique, l'UNIA est active au niveau fédéral ainsi qu'au niveau des régions et des communautés).
Je fais ici référence à l'incident politique du 27 septembre 2020, qui a provoqué le blocage brutal de la ministre Demir.
Enfin, le blocage porte préjudice aux journalistes dans leur liberté d'entreprendre (Code de droit économique art. II.3 WER & art. II.4, ...) : il est à noter qu'un journaliste sur quatre travaille en free-lance.
La procédure : On se voit au tribunal ?
La Cour suprême américaine joue un rôle inconnu en Belgique : son pouvoir judiciaire englobe ce sur quoi notre Cour constitutionnelle belge, la Cour de cassation et le Conseil d'État se prononcent, mais aussi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
Le "précédent" n'est pas la façon (continentale) européenne de juger, mais il existe des exceptions (pour les décisions de la Cour de cassation et de la CEDH). Et de toute façon, les jugements publiés dans la presse juridique professionnelle (de n'importe quel tribunal) ont leur poids et sont une source d'inspiration, parfois dans le monde entier.
L'exemple néerlandais
Comme les Pays-Bas connaissent une "Wet Openbaarheid van Bestuur" (WOB - Loi sur la liberté de l'information et donc le très intéressant verbe "wobben") similaire à celle de la Belgique et de la Flandre, le jugement du Conseil d'État néerlandais du 20 mars 2019 (affaire n° 201800258/1/A3, confirmant le jugement du tribunal Midden-Nederland du 28 novembre 2017 dans l'affaire 17/532) pourrait très bien inspirer notre Conseil d'État belge.
Le tribunal néerlandais a décidé que les messages SMS et Whats-App peuvent être soumis à la loi (néerlandaise) sur la liberté de l'information.
Alors pourquoi pas les messages Twitter qui sont à l'origine et fondamentalement publics, mais qui sont soudainement tenus "secrets" pour certains citoyens ?
Les archives de Twitter
La juge Buchwald a noté dans son ordonnance du 23 mai 2018 l'avis de la National Archives and Records Administration selon lequel les tweets de @realDonaldTrump "sont des documents officiels qui doivent être conservés en vertu de la loi sur les archives présidentielles".
Le décret flamand sur la liberté de l'information du 7 décembre 2018 que j'ai déjà mentionné, confirme la responsabilité administrative des organismes gouvernementaux de gérer et de conserver leurs documents "dans de bonnes conditions, de manière systématique et accessible" (art. III.81 §1).
En cette ère numérique, cela ne peut pas être impossible, c'est plutôt le devoir et l'essentiel d'un fonctionnaire.
Nos lois sur la "liberté d'information" ne peuvent être efficaces si les communications des fonctionnaires - ou de leur porte-parole officiel - ne sont pas préservées pour l'histoire.
Une illustration de cet aspect à Anvers : des historiens qui effacent l'histoire
En août et octobre 2017, j'ai eu une discussion sur Twitter à ce sujet avec Johan Vermant ( @JohanVermant le porte-parole du maire d'Anvers Bart De Wever, président du parti de la ministre Demir, le N-VA), car j'avais remarqué que M. Vermant - un historien - avait systématiquement supprimé tous ses tweets au pied levé. Le 2 octobre 2017, il a répondu "Avez-vous un problème d'attention ? Je considère Twitter comme un média pour les actualités, c'est pourquoi mes tweets disparaissent au bout d'une semaine. Alors, revenez à votre ‘high moral’".
Le même porte-parole a tweeté "Les journalistes verts, d'égout et de gauche mènent une seule bataille (ensemble). Tout est possible". - à propos du célèbre dîner au restaurant anversois Het Fornuis, publié par Apache - site journalistique, attaqué par des SLAPP depuis).
J'ai repris la question clé dans une réponse sur Twitter le 16 août : "Les historiens qui effacent leurs tweets, que penser de cela ? Ils ne veulent pas être tenus pour responsables de l'histoire qui les concerne".
Il n'est guère possible de vérifier et d'écrire l'histoire de ce genre d'attaques agressives contre les journalistes (dans ce cas, contre Walter Pauli, Knack, qui fit référence au "Fornuis Dinner") et donc de la façon dont les populistes font la promotion de leur politique, si vous ne vérifiez pas en permanence les tweets sur le compte original et si nécessaire, sauvegardez ces tweets pour l'histoire en faisant une capture d'écran.
En effet, il arrive que les tweets supprimés racontent une histoire plus intéressante que ceux qui continuent à recevoir des coups de cœur de la part de followers, de personnes réelles ou de robots (ou un mélange des deux).
Les faits comptent, et parfois, les tweets ne sont pas seulement des mots, mais un fait en soi.
Même un tweet supprimé est souvent un fait très pertinent et donc une nouvelle.
Enfin, et ce n'est pas le moins important, cela nous amène à l'aspect démocratique.
À maintes reprises, cette approche agressive semble se retourner contre ceux qui l’appliquent.
Le blocage est une très mauvaise tactique politique.
Le maire de Miami, Philip Levine - un démocrate - qui a bloqué l'animateur de radio Grant Stern en 2016 - a dépensé 29 millions de dollars (un cinquième de sa valeur nette) lors de sa course infructueuse au poste de gouverneur en 2018. Stern a finalement été débloqué pendant le procès, plus d'un an après avoir déposé sa plainte en octobre 2016 ( source : Politico, 18/05/2018).
Le gouverneur du Kentucky Matt G. Bevin - un républicain - a gagné la bataille judiciaire contre les critiques bloqués. Le 30 mars 2018, le juge de district américain Gregory F. Van Tatenhove a refusé aux plaignants Drew Morgan et Mary Hargis leur demande d'injonction préliminaire parce que "le gouverneur Bevin a mis en place un filtre automatique" sur ses comptes : "il a un agenda précis de ce qu'il veut que ses pages ressemblent et de ce que sera la discussion sur ces pages".
Parmi les mots que les fonctionnaires de l'administration signaleraient : crotte de nez, tapis, dictateur, nimrod, déclarations d'impôts, atout, utérus, col de l'utérus, menstruations et utérus". (source : Courier-Journal 05/01/2019)
Le juge Van Tatenhove a conclu que "si (le gouverneur) voulait un forum vraiment ouvert où chacun pourrait poster ou commenter, il aurait pu créer ses comptes pour le faire, mais il ne l'a pas fait. Et le Premier Amendement ne l'oblige pas à le faire" (affaire 3:17-cv-00020-GFVT).
Vous pouvez discuter de ce jugement et, de toute façon, son champ d'application est très étroit. Mais après avoir gagné cette bataille au tribunal de district, le gouverneur Bevin - soutenu par le mouvement du parti du thé - n'a pas été réélu en 2019.
Au Canada, Jim Watson, le maire d'Ottawa, avait créé une page Twitter sur les affaires municipales, notamment sur les questions dont le conseil municipal est saisi. Il avait bloqué plusieurs critiques de sa conduite.
Les trois plaignants - Emilie Taman, avocate et activiste communautaire, Dylan Penner du Conseil des Canadiens et James Hutt de l'Union canadienne des travailleurs des postes - ont allégué dans un procès intenté en octobre 2018 que Watson avait violé leur droit constitutionnel à la liberté d'expression en les bloquant de son compte Twitter officiel. Ils ont fait valoir que son flux Twitter était un compte public utilisé dans le cadre de ses fonctions de maire.
Ils ont intenté une action en justice au motif qu'il avait été porté atteinte à leur liberté d'expression garantie par l'article 2(b) de la Charte.
L'affaire a été réglée dans un premier temps.
M. Taman a déclaré que M. Watson avait probablement reçu "des conseils juridiques assez solides" selon lesquels sa position ne tiendrait pas devant un tribunal.
Dans une déclaration, le bureau du maire a annoncé que Watson s'était plié à cette position pour parvenir à un règlement juridique : "Après mûre réflexion, le maire Watson est d'accord avec cette position et a décidé de répondre directement aux préoccupations spécifiques soulevées en débloquant ces personnes de son compte Twitter".
Watson a "fait la paix dans la guerre de Twitter" et "a remercié les plaideurs d'avoir soulevé la question et s'est engagé à encourager tous les conseillers municipaux à maintenir un niveau élevé d'accessibilité par le biais des médias sociaux". (source : Ottawa Citizen, 2 novembre 2018).
Le maire Watson a été réélu.
A New York, la célèbre @RepAOC
Depuis, la très célèbre représentante du Congrès américain Alexandria Ocasio-Cortez (du parti démocrate) a fait de même, après avoir poursuivie en justice par des citoyens qu’elle avait bloqués sur son compte Twitter (avec 5,7 millions de followers).
En novembre 2019 elle présentait ses excuses.
Je remercie d’ailleurs le journaliste néerlandais Peter Olsthoorn de me rappeler ce dernier cas, dans l’article qu’il a consacré à mon affaire avec la ministre Demir.
Alors d'abord, discutons ! ?
Pour l'instant, bien qu'au début de ce rapport et de cette plainte, j'aie utilisé les termes officiels "demandeur" et "défenderesse", il ne s'agit pas - encore - d'un litige.
J'ai beaucoup emprunté à l'affaire américaine et à d'autres affaires, pour illustrer le défi juridique que les autorités et figures publiques risquent de rencontrer en bloquant les citoyens sur les médias sociaux.
L'aspect juridique n'est cependant que l'un des nombreux aspects de cette discussion fondamentale sur une société ouverte et démocratique.
Par conséquent, il s'agit encore d'un premier recours.
Je ne sous-estime pas la difficulté politique qu'éprouve le ministre Demir à reconsidérer la question.
Cela demandera du courage, au sein de son parti et devant ses propres partisans sur les médias sociaux.
Mais personne ne devrait entrer en politique sans courage.
Les cas de Jim Watson et d’Alexandria Ocasio-Cortez le prouvent : ils ont fait la paix des sages.
La ministre Demir, ministre flamande de la Justice, peut donner un exemple positif de pacification au lieu d'un exemple négatif et polarisant.
Au cours de mon quart de siècle d'exercice de la fonction de juge de paix, j'ai eu besoin de courage, moi aussi.
La démocratie est plus qu'une question d'élections et de votes, tout comme la justice est plus qu'une question de procédures et d'ordres.
Les politiciens et les juges ont également besoin d'une autre chose en commun : écouter.
Et s'ils peuvent, après avoir écouté, être enfin doux, pardonner, voire être tendres (comme je l'ai plaidé dans "La force de la justice") - pour faire la paix.
Ainsi, madame la ministre, avec tout le respect que je vous dois à titre personnel et à votre fonction, puis-je vous demander de reconsidérer votre position.
Ou du moins, discutons-en d'abord.
Toute ma vie professionnelle en tant que juge, j'ai promu le dialogue et la médiation.
J'ai renversé le célèbre proverbe romain et j'ai préféré : "Si vis pacem, para pacem".
Le besoin de compréhension mutuelle est au cœur de mon livre "La force de la justice" (en néerlandais "De kracht van rechtvaardigheid", Uitgeverij EPO 2016, en français "La force de la justice. Plaidoyer pour une justice plus juste", éditions Now Future 2017).
Cette force de la justice est le véritable "pouvoir du changement" - slogan électoral de votre parti.
Certains observateurs de ce conflit spéculent que vous ne répondrez pas - comme vous ne l'avez pas fait depuis le 20 septembre - et ils espèrent un "précédent" belge ou flamand après une procédure intéressante avec les coûteux avocats du gouvernement de votre côté, un peu comme Goliath contre David.
L'idée est très attrayante pour les juristes et les journalistes.
Je pense sincèrement que David a de bonnes chances. Et David n'est pas le seul.
« La publicité est la sauvegarde du peuple » - merci à Edwy Plenel et Mediapart … et Bertrand Russell
David pourrait être « le grain de sable que les plus lourds engins, écrasant tout sur leur passage, ne réussissent pas à briser » (Jean-Pierre Vernant, historien et Compagnon de la Libératon, cité dans le Manifeste de Mediapart’ en 2009, et dans ‘Le droit de savoir’ d’Edwy Plenel (Don Quichotte Editions 2013).
Edwy Plenel, directeur et emblématique cofondateur de Mediapart, commence d’ailleurs son dernier livre ‘La sauvegarde du peuple. Presse, liberté et démocratie’ (Editions La Découverte 2020) en évoquant la devise au fronton de l’hotel de ville de Verviers – donc en Belgique : « La publicité est la sauvegarde du peuple » - autrement dit, « tout ce qui est d’intérêt public, doit être rendu public » - et doit le rester pour tous.
D’ailleurs, comme le philosophe Bertrand Russell écrivit déjà en 1917 (dans un livre, interdit par le gouvernement anglais et seulement publié en 1963) « toute la sphère de la pensée et de l’opinion, est fondamentalement inapte pour tout contrôle public. Ce débat devrait se dérouler de manière aussi libre et spontanée que possible » (Bertrand Russell, Political Ideals).
Madame la ministre flamande de la Justice et du Maintien, vous pourriez donc économiser vos frais d'avocat pour le contribuable flamand et faire gagner du temps aux tribunaux.
Covid nous oblige d’ailleurs à respecter les priorités.
Cela ne vous coûte rien, seulement une seconde de votre temps, d'appuyer sur le bouton "débloquer" de Twitter.
Cela vous coûterait un tout petit peu plus cher de parler - le temps de prendre un café ou un thé ou de faire une petite promenade dans le Warandepark de Bruxelles, ou si vous préférez, le long des canaux historiques de Bruges, là où je vis et écris - le tout avec une distance physique sûre, sans soucis.
C'est à vous de me débloquer en une seconde ou avoir au moins le courage de discuter.
Vous ne devez pas me lire, ignorez-moi pour le confort de votre idéologie ou de votre sommeil, mais laissez-moi vous lire.
Merci.
Jan Nolf
#justicewatcher #justitiewatcher
Version Française - Twitter Case
7 december 2020
Twitter case #justitiewatcher c. "Ministre flamande de la Justice et du Maintien" Zuhal Demir
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