Questioning Justice
Questioning Justice
2024/25
SLAPP signifie Strategic Lawsuit Against Public Participation (poursuites bâillons -poursuites stratégiques contre la participation publique). Les SLAPP abusent des procédures juridiques pour intimider les voix critiques afin qu'elles n'osent plus s'exprimer publiquement. L'intention de celui qui entame une procédure bâillon est principalement de réduire l'autre partie au silence et d'étouffer le débat public.
Le groupe de travail belge anti-SLAPP a été lancé en épilogue du « 4e séminaire international sur la liberté de la presse » : Combattre les SLAPP contre les journalistes » du 12 décembre 2022 à UGent (lien vers son rapport : https://biblio.ugent.be/publication/01GPBK7A7XC27407633RVV53Z0 )
Je garde moi-même un souvenir particulier et visuel de ce séminaire fort intéressant, que je résume en un triangle de souvenirs, et ci-dessous également en images.
Premier angle de ce triangle.
Un témoin impressionnant de ce séminaire était Matthew Caruana Galizia, le fils de la journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia, assassinée le 16 octobre 2017, qui avait fait de la publication des scandales de corruption l'œuvre de sa vie (lien vers la Fondation: https://www.daphne.foundation/en/about/ ).
Au moment de sa mort - un attentat à la bombe dans sa Peugeot 108 - une demi-heure après avoir publié son dernier blog (lien https://daphnecaruanagalizia.com/2017/10/crook-schembri-court-today-pleading-not-crook/ ) pas moins de 46 procédures civiles et 5 procédures pénales avaient été engagées contre elle, ce qui rendait son travail de journaliste presque impossible. C'est d'ailleurs principalement ce qui est recherché dans le cadre d'un SLAPP.
Deuxième angle de ce triangle.
Cela a dû être un moment spécial pour son fils Matthew de se retrouver face à face avec notre ministre belge de la justice, Vincent Van Quickenborne, qui a ouvert le séminaire. Un moment particulier parce que le ministre est apparu « virtuellement », via l'écran, pour la simple raison que le ministre lui-même se trouvait dans une « maison sécurisée » en raison de menaces - une première peu enviable pour la Belgique.
Il s'agit donc déjà du deuxième personnage clé de ce séminaire à recevoir des menaces de mort en raison de son travail légitime : le premier était un journaliste, le second un homme politique.
Dans son discours, le ministre Van Quickenborne a évoqué la multiplication des menaces contre les journalistes, comme le meurtre de Peter R. Devries aux Pays-Bas, le mouvement anti-vaccin, ainsi que l'extrême droite, avec à chaque fois des « fake news » et des attaques contre les médias et les journalistes. La Belgique a déjà pris des mesures. Entre autres, le ministre a fait référence à la circonstance aggravante concernant les attaques contre un journaliste, en tant que « personne ayant une fonction sociale si l'infraction a été commise dans le cadre de l'exercice de cette fonction » (prévue dans la loi du 29 02 2024, adoptée ultérieurement dans le Livre II du Code pénal, art. 111 (circonstances aggravantes) en liaison avec l’art. 79, 4°).
L'engagement du ministre dans sa déclaration d'ouverture était trop précieux pour ne pas le citer dans le rapport du séminaire : « Le ministre est également un fervent partisan de la proposition de directive européenne anti-SLAPP, qui, dans son état actuel, s'appliquera aux affaires ayant des implications transfrontalières et qui contient un mécanisme de rejet anticipé des SLAPP. Il s'agit d'un engagement clair de la Belgique dans les discussions à venir au sein du Conseil. À cet égard, le ministre a expliqué que le champ d'application de la loi belge mettant en œuvre la directive ne sera pas limité aux affaires transfrontalières mais couvrira également les situations internes. Le ministre a conclu que ces débats touchent au cœur de nos valeurs européennes, car la protection des journalistes est nécessaire dans une société libre : l’un ne va pas sans l'autre »
(traduction de l’auteur du rapport en anglais).
Voilà un langage clair, et le pouce levé du ministre en dit long….. (voir la photo en bas de page !).
Troisième angle de ce triangle.
Peu de temps auparavant, le professeur em. Dirk Voorhoof, de l'université de Gand, m'avait fait l'honneur d'une contribution monumentale sur les SLAPP dans le livre que je tenais entre mes mains ce jour-là à Gand : ce singulier « Liber Amicorum » qui m'a été offert - avec un certain retard de Covid - pour mon 70e anniversaire.
Plus de 50 pages (sur 535) de ce livre, Dirk Voorhoof les a consacrées aux « SLAPP : procédures judiciaires téméraires, vexatoires ou intimidantes à l'encontre des médias, des journalistes et d'autres “chiens de garde” (pp. 127- 181 - lien https://epo.be/shop/de-gevierendeelde-jan-nolf/ ).
À ce jour, il n'existe guère d'aperçu plus complet de la problématique SLAPP en Belgique, et j'en viens ici à mon troisième personnage clé : Marc Van Ranst, professeur à Louvain, figure de proue de la communication médicale professionnelle pendant la pandémie de Covid, qui, à l'instar du ministre de la justice, a dû être placé en 'safe house' pour assurer sa sécurité physique contre les attaques, mais qui reste également la cible de discours haineux et de procédures SLAPP, notamment de la part de Willem Engel.
Dans son livre « Virologica », qui sera publié ce 18 février, Marc Van Ranst témoigne également des discours de haine : les exemples occupent 40 pages du livre. Dans ce monde de Trump II anno 2025, c'est de pire en pire.
Voilà qui complète le triangle de mes souvenirs du 12 décembre 2022.
Nous voici donc avec trois personnalités publiques, visées par des menaces de recours à la force meurtrière et des méthodes en totale contradiction avec les fondements de notre État de droit, et en particulier le droit à la liberté d'expression et d'information.
Comme l'a également déclaré le ministre de la justice, la lutte contre les SLAPP est une lutte pour l'État de droit démocratique, et donc une lutte pour tous.
Comment éviter que le débat public ne soit noyé sous de telles menaces SLAPP ?
Le Prof. em. Dirk Voorhoof et Pia Lindholm (chef d'unité adjoint de l’unité « Justice » au sein du département « Justice » de la Commission européenne) ont présenté, lors de ce séminaire de fin 2022, les nouveaux instruments juridiques et politiques qui étaient en cours d'élaboration au niveau européen.
Aujourd'hui, nous sommes deux ans plus tard, et une pierre d’angle a été posée.
La « boîte à outils » annoncée par Pia Lindholm à l'époque à Gand est là, y compris la directive 2024/1069 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 « relative à la protection des personnes associées à la participation du public contre les demandes manifestement infondées et les abus de procédure ( »litiges stragégiques contre la participation du public« ) » (lien https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=OJ:L_202401069 )
Ou, pour reprendre les termes de la Fondation Daphne Caruana Galizia, « la loi de Daphne est désormais officielle » !
Il appartient maintenant aux États membres de transposer cette directive en droit national.
Notre groupe de travail belge Anti-SLAPP - dans le sillage du séminaire du 12 12 2022 - a déjà pris les devants et compte une quarantaine de membres : universitaires, avocats, magistrats honoraires, représentants des médias et d'initiatives citoyennes et d'ONG.
Notre site web trilingue (lien : https://www.slapp.be/nl ) fournit des informations sur le phénomène SLAPP, avec de nombreux exemples.
En effet, il est urgent de former les magistrats et les avocats à reconnaître « de lege lata » le problème de la SLAPP dès maintenant, et à gérer ensuite la nouvelle législation.
La loi Daphné existe désormais, grâce à la directive de 2024, mais nous devons encore la rendre nationale en Belgique d'ici mai 2026. Le temps presse donc.
Notre groupe de travail belge (bilingue) a élaboré une loi type (trilingue) « prête à l'emploi » avec des mesures anti-SLAPP. Logiquement, la loi type va nécessairement au-delà de la simple transposition de la directive européenne anti-SLAPP.
Logique : limiter le champ d'application de la loi aux seules affaires à caractère transfrontalier aurait d'ailleurs pour conséquence que la loi n'aurait pratiquement aucun impact dans la pratique : après tout, plus de 90 % des affaires de SLAPP n'ont pas de caractère transfrontalier, mais se situent à l'intérieur d'un seul pays.
La transposition ne doit pas aboutir à une boîte (nationale) vide - ou, pour le dire dans l'ancien langage pharmaceutique français : « une poudre de perlimpinpin ».
Nécessaire : alors que la directive se concentre sur les affaires civiles, la loi type proposée comprend également des mesures relatives aux procédures pénales, étant donné que plusieurs poursuites-bâillons ont également eu lieu en Belgique dans le cadre de procédures pénales. Au contraire, si la loi anti-SLAPP ne s'appliquait qu'aux procédures civiles, davantage de SLAPP risqueraient de se produire dans le cadre de procédures pénales, alors qu'il est certain que les affaires pénales ont un effet encore plus intimidant ou dissuasif.
En effet, la loi type contient également des recommandations des Nations Unies, du Conseil de l'Europe et de la Commission européenne visant à renforcer la vigilance à l'égard des poursuites-bâillons et à mieux encadrer les victimes.
Cela permettra au nouveau gouvernement fédéral, à la ministre de la Justice Annelies Verlinden et au parlement de se mettre immédiatement au travail afin de transformer la directive européenne en une loi belge importante dans les délais impartis, à savoir d'ici 2026.
Après tout, la transposition dans les délais (car obligatoire) des directives européennes est également mentionnée textuellement dans l'accord de coalition (p. 61, 136 et 193 - bien que ces expressis verbis concernent d'autres sujets) : quod abundat, non nocet.
Nous ne pouvons pas imaginer que notre gouvernement belge se livre à un « cherry picking » en ce qui concerne ces obligations européennes essentielles.
Après tout, non seulement les SLAPP constituent une menace pour le débat démocratique, mais elles surchargent aussi inutilement notre système judiciaire.
Dans ce contexte, le titre (p. 159) de l'accord de coalition pour le nouveau gouvernement belge est également un plaidoyer justifié en soi pour « la justice en tant que prestataire de services efficace, performant, accessible et orienté vers le client ».
Les principales mesures reprises dans le modèle de loi sont:
- la possibilité d'un rejet rapide par le tribunal d'une SLAPP manifestement infondée (dans les 30
jours)
- la constitution d’une garantie financière du plaignant (slapper), de sorte que le défendeur qui
gagne le procès soit assuré de pouvoir obtenir facilement une compensation effective de la part du demandeur
- des critères et des indicateurs clairs afin d’aider le tribunal à qualifier une plainte de SLAPP et à
condamner le cas échéant le plaignant pour abus de procédure
- une possibilité pour le juge de condamner à une amende (civile) pouvant aller jusqu'à 25.000 euros pour le slapper, ainsi qu’à des dommages-intérêts et une indemnisation plus complète des frais de justice encourus par le défendeur
- la possibilité de ne pas exécuter en Belgique des décisions de pays tiers qualifiées de SLAPP en
droit belge
- des campagnes de sensibilisation, de formation et d'information sur les SLAPP en Belgique, en
collaboration notamment avec le IFDH (Institut fédéral des droits de l'homme).
Lien vers le modèle de loi
– version française : www.slapp.be/fr/propositions
– version néerlandaise : www.slapp.be/nl/voorstellen
Site web : https://www.slapp.be/fr
Nouvelles : https://slapp.be/fr/nouvelles et https://www.slapp.be/fr/feed-archives
Flux RSS : https://www.slapp.be/fr/rss.xml
Dans l’actualité :
De Juristenkrant 12 02 2025: https://shop.wolterskluwer.be/fr_be/Juristenkrant-incl-Jura-Campus-students-only-sBPKLUSTUJ/
Inforrm’s Blog 12 02 2025: https://inforrm.org/2025/02/12/belgium-a-model-for-the-transposition-of-the-eu-anti-slapp-directive-dirk-voorhoof/#more-58788
- Media report 13 02 2025: Belgium, a model for the transposition of the EU anti-SLAPP Directive - Dirk Voorhoof https://mediareport.nl/press-law/13022025/belgium-a-model-for-the-transposition-of-the-eu-anti-slapp-directive-dirk-voorhoof/?lang=en
la loi de daphné en droit belge
17 februari 2025
‘De gevier(endeel)de Jan Nolf
Liber Observatoribus Iustititiae’
(EPO Mammoet 2022)
avec la contribution du prof. em. Dirk Voorhoof sur les SLAPP (pp. 127 - 181 de 535, avec 28 autres contributions d'auteurs éminents)